Les 23 heures de la bande-dessinée se sont terminées dimanche dernier. Comme promis, en voilà un compte-rendu exhaustif afin de mieux cerner ce que j’avais derrière la tête pour cette participation et quel sens donner à ce projet.
SPOILER ALERT : Je vous invite à lire la BD avant de le lire le compte-rendu !
Avant de parler de l’édition 2020, il est nécessaire de faire un rappel de mes précédentes participations. En effet, j’ai participé aux éditions 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015. Pourquoi ce silence depuis ? Pour deux raisons : la première est que je ne me sentais plus de passer une nuit blanche. Étant enseignant, le retour au travail le lundi est extrêmement difficile. Il faut préciser que pendant les éditions de 2011 à 2015, j’ai été plusieurs fois dans des situations favorables (2 ans où je n’avais pas de classe à charge, mais un travail de bureau, des années où je ne travaillais pas le lundi matin…). J’étais aussi plus jeune et capable d’encaisser la nuit blanche…
L’autre raison est ma difficulté à accepter de dessiner de façon plus simple. Depuis Jotunheimen, puis La Prépa, je développe un dessin plus précis, plus léché et plus réaliste. L’idée de dessiner vite, efficacement, ne me parle plus. Même si ma dernière participation en 2015 possédait quelques cases travaillées, j’avais du faire usage de nombreux truc et astuces graphiques pour alléger la charge de travail.
Sans surprise, c’est le confinement qui m’a convaincu de m’y remettre cette année. Je suis convaincu de l’intérêt de ce genre d’exercices à contraintes pour progresser. Ainsi, chaque projet a été l’occasion pour moi de tester des univers et d’avancer :
2011 – La Vie de Jésus : première BD que j’ai réalisée de plus de 5 pages
- 2011 – La Vie de Jésus : première BD que j’ai réalisée de plus de 5 pages
- 2012 – La fin d’un monde : première BD à ne pas être construite sur l’humour (et qui donnera Le Modèle Vivant 4 mois plus tard)
- 2013 – What About Sex ? : j’avais une grande envie à l’époque de faire une BD qui serait comme une pièce de théâtre. C’est fait !
- 2014 – Un cas d’espèce : test d’un univers animalier pour une BD d’héroïc fantasy L’Ultime Symphonie (projet finalement abandonné)
- 2015 – Un jeu d’enfant : reprise d’une idée de BD pour enfants qui avait germé des années auparavant. Une façon de la tester « en vrai » pour voir ce que ça donne.
En arrivant à cette édition, je n’avais rien de particulier à tester. Et pourtant, juste avant 13 heures, je me dis que si le thème pouvait me permettre de tester mon projet Le Collège de l’Apocalypse, ce serait parfait. En effet, ce projet est construit à l’origine par saynètes de 4/5 pages. À l’état actuel, seule une scène était écrite, celle du CDI. Les autres l’étaient à l’état embryonnaire (quelques dialogues, quelques idées de situation, parfois juste l’idée d’un lieu à exploiter). Quand le thème est arrivé, je savais que mon concept d’ados zombifiés était parfait pour coller à la frontière entre réalité et fiction. En effet, les professeurs voient les élèves comme des monstres, alors qu’ils ne sont en fait que des adolescents.
Ainsi, je partais avec une base de scénario non-nulle. Notamment, ça m’a permis d’avoir une bonne partie des blagues déjà écrites. Restait à écrire la continuité et retoucher le début pour en faire une vraie histoire de 24 pages. C’était un vrai travail, j’y ai passé 1h30. Toute la construction vers l’idée que les élèves ne seraient que des adolescents est apparue pendant l’écriture. Pour bien comprendre, j’avais un scénario que j’ai dû enrichir, développer et découper en pages pour gérer le rythme de narration. J’ai pris un plaisir fou à écrire. Je rigolais à mes blagues. Une superbe expérience ! Et surtout, mon projet s’est sacrément enrichi en blagues et situations. En 1h30, j’ai plus avancé qu’en 6 mois… Comme quoi, être obligé de se mettre à son bureau, ça a ses vertus créatrices…
Une fois le scénario prêt, je pus me lancer dans le dessin. Je fis la même erreur que d’autres années : je tente de dessiner sur un papier de mauvaise qualité pour m’en débarrasser… Je retourne alors vite sur mon papier habituel. J’effectue le crayonné sur des feuilles A4 de carnet de croquis (100g/m²) puis encre sur des pages A3 à la table lumineuse, à la plume. Ce choix de la plume découle directement de mon Journal du confinement, lui aussi réalisé à la plume. J’ai plaisir à m’y remettre. C’est vite une catastrophe. Je changerai deux fois de plume avant d’en avoir une correcte (qui ne se bouche pas ou qui ne bave pas). De plus, le papier que j’utilise est trop granuleux pour la plume. Malheureusement, comme je n’encre plus à la plume depuis 2 ans, je n’ai pas de papier adapté chez moi…
Le changement de format me met aussi en difficulté. Habitué à des pages A3 depuis 6 ans, je me trouve confiné dans ce format. Ma BD ayant beaucoup de textes, les bulles prennent trop d’espace. Je ferai alors le choix de diluer un peu mon scénario. Ce dernier, qui faisait 20 pages sera porté à 22 pages sans ajouter de scènes et en enlevant même des blagues. Comme je m’en suis rendu compte assez vite, on ne ressent pas la dilution en lisant la BD. Au contraire, elle s’est plutôt fluidifiée par rapport à ma première version, très (trop ?) dense. J’avais des pages avec 7 cases ou 8 cases…
Une professionnalisation salvatrice.
Comme à chaque édition, le début est compliqué. Au bout de 4 pages, il est déjà 19 heures. Le temps d’écrire l’histoire et de prendre le rythme, c’est normal, mais je doute alors d’aller au bout. Cependant, je finis par prendre en main mes personnages et mon dessin se fait plus efficace sans trop perdre en qualité. Je ferai relativement peu d’erreur d’encrages (pas de bavures !) ce qui me fera gagner beaucoup de temps.
J’ai pu voir combien ma « professionnalisation » m’avait aidé dans cette épreuve. Le fait d’avoir une table lumineuse m’a évité d’avoir à gommer (l’Enfer pour le dessinateur pendant les 23hBD). De même, avoir une police d’écriture toute prête m’a éviter d’encrer mon lettrage (je me rappelle encore de cette souffrance pour les précédentes éditions). Enfin, j’ai un mini-chevalet qui m’a évité d’être trop courbé sur ma table. Si j’ai quand même eu des douleurs au dos (notamment les cervicales et les omoplates), je sais que cela m’a soulagé et m’a évité de me blesser. Les plus grandes douleurs sont évidemment dans la main droite. Aujourd’hui encore, j’ai mal puisque je passe toujours mes journées à dessiner ou à être sur l’ordinateur…
Toutes ces techniques (notamment l’utilisation d’un noir et blanc pur, beaucoup plus simple à scanner) m’ont permis de gagner du temps pour la mise en ligne des pages. En gros, scanner, traiter une planche et lui mettre ses dialogues me prenait 5 minutes chrono.
Ce fut l’édition que j’ai pris le plus de temps à dessiner. J’ai terminé à 10h30 sans avoir dormi. Curieusement, j’ai souffert physiquement et psychologiquement, mais je n’ai jamais eu envie de dormir. À partir du moment où j’ai senti que j’allais aller au bout, j’ai été apaisé et le rythme s’est ralenti.
Je suis satisfait du résultat. J’ai créé, en moins de 23 heures, une vraie bande dessinée avec un cheminement, des blagues, des personnages et une fin. C’est la véritable victoire. Ce n’est pas un truc expérimental et bidouillé pour atteindre les 24 pages. J’ai choisi un format vertical beaucoup plus compliqué, avec une grande densité en termes de cases. Je n’ai qu’une page pleine (la dernière). Bref, je n’ai pas utilisé d’artifices « classiques » pour aller au bout. Des artifices que la direction des 23hBD avait d’ailleurs combattu en limitant le nombre de pleines pages et de pages avec seulement deux cases.
Cependant, des frustrations existent. Je sens bien que mon projet de BD demande de la maturation. En l’état, c’est sympa pour une petite BD des 23hBD, mais il manque encore beaucoup de choses. Il m’a manqué de temps pour travailler (et réaliser !) une mise en page plus pertinente. Une narration plus fluide aussi. En passant beaucoup de temps sur mes planches actuellement (écriture du scénario, découpage, ajustement du scénario, premier storyboard, amélioration du storyboard…), c’était difficile pour moi de dessiner « à l’instinct » et d’utiliser des facilités graphiques. Je vois presque cette BD comme un scénario dessiné, un storyboard primaire. Mais du coup, cela remplit son rôle : j’ai expérimenté un univers et je peux voir les faiblesses et les points forts du projet à travers un premier jet.
Il y a peu de chances que je participe l’année prochaine aux 23h de la bande-dessinée pour les raisons invoquées en début d’articles. Cependant, la vie nous réserve des surprises, des opportunités, qu’il faut savoir saisir. Et je suis bien content d’avoir attrapé cette perche qui m’était tendue !