Au Zénith

Mon Essentielle : Le concert

Texte d’atelier consacré à l’apparition d’un personnage.

La tension s’installe au Zénith. On s’impatiente. Je sautille sur place, scande des « who oh oh ! » avec la foule, tape des pieds et des mains. Je m’égosille comme si ça allait change quelque chose. Qu’est-ce qu’ils foutent, bordel ? Les roadies ont quitté la scène. J’imagine le groupe en train de nous observer. Ils attendent ; ça les amuse. Ils soignent leur apparition. Ils veulent de l’impact. Pas une excitation, un orgasme direct dans nos faces.

Alors les lumières s’éteignent et, comme un seul homme, nous nous mettons à hurler. Les haut-parleurs se réveillent et balancent des nappes de synthés. Les spots inondent la scène d’un bleu sombre et froid. Dans l’ombre, on voit le batteur s’installer. On crie à l’unisson. Il nous fait signe en levant haut ses baguettes, puis se met à jouer. La foule s’enflamme. Je ne tiens plus en place. Alors le bassiste entre par la droite, ramasse son instrument. Stefan Olsdal est grand et fin comme une mante religieuse, les épaules et le ventre à l’air. Queer as fuck. Sans même nous regarder, il lance sa ligne de basse. Le son épais et rond nous enveloppe et nos corps se mettent à vibrer. Toute cette tension est sexuelle. Je n’en peux plus. J’en veux plus. Toute de suite et maintenant. La fumée s’élève peu à peu, révélant les faisceaux des spots qui balaient la scène. Ces lumières m’hypnotisent. Alors Brian Molko se montre enfin. La foule hurle. À notre cri, il répond par un sourire en coin. Tout habillé de noir, il paraît minuscule dans ce Zénith surpeuplé. son regard froid et acide nous transperce tous, un par un un. Si petit, si menu, si torride. Nous sommes ses choses. Ses esclaves. En un regard, il nous a soumis. Il jouit de cet instant où nous le supplions. Alors il attrape le micro, nous observe d’un air teinté d’ironie, profitant de sa puissance. Lentement, il lève le bras, puis l’abat d’un grand geste sur sa guitare. Quatre colonnes de feu s’élèvent à une dizaine de mètre du sol en un bruit assourdissant. J’en ressens la chaleur sur mon visage. Dans la salle surchauffé, Molko est la braise qui déclenche l’incendie. Les instruments se sont tus. Seule sa voix résonne sur quatre accords en overdrive :

« Since we’re feeling so anesthetized
In our confort zone. »

À cet instant, il n’y a plus que lui est nous. Son timbre nasillard, chaud et sensuel. Son regard langoureux à peine dissimulé derrière sa grande mèche noire. Ses lèvres fines entrouvertes d’où nous vient la voix des Dieux. L’instant de grâce ne dure qu’un temps – ou plutôt quatre temps. Tous les instruments se remettent en marche en un déflagration. Explosion des sens, du cent-vingt décibels à cent-quarante beats par minutes. La foule entre en transe. Furieuse, elle se démène, se débat, s’agite dans la fosse sous le regard amusé de Molko. Je me jette dans la foule animale. Tout devient instinct. Viscéral et hormonal. Je me laisse guider par ma moëlle épinière. Je me lance dans le pogo, je prends des coups et les rends, je me jette dans la fosse aux loups avec toute cette violence qui ne veut jamais sortir, que je retiens en permanence. Je suis moi. Une bête féroce.

Julien me tape sur l’épaule et me fait signe vers le haut. Une courte échelle et je grimpe sur la foule pour slamer, surfant sur cette vague façon tsunami qui déferle de la scène. Ils me portent, je suis leur reine. Je suis ta reine, Brian, ils me mènent jusqu’à toi. Je vois que tu me regardes, alors je chante avec toi.

« I can see you now
Running to me
Arms wide out. »

Je tends les bras vers toi.  Hurle ton nom de toutes mes forces, mais je ne m’entends pas. Ce monde est chaos, tu as ouvert les sept cercles de l’Enfer.

Soudain, des bras m’agrippent et me jettent au sol. J’ai dépassé la foule. J’ai franchi la frontière. Je me retrouve dans l’entre-scène, le no man’s land entre artistes et public. À deux mètres de moi, à deux mètres de haut, Brian Molko harangue la salle. Il ne me regarde pas. Il ne me regarde plus. Le service d’ordre me sort de ma torpeur et me bouscule sans ménagement. Ils me font signe de repartir par le côté. Vu la gueule des vigiles, je n’ai pas intérêt à discuter. Je repars vers l’arrière de la salle avec regret. J’entends que retentissent les dernières notes du morceau. Et alors que le public exulte, Brian Molko, susurre dans le micro :

— Bonsoir Montpellier ! Nous sommes Placebo.

See you at the bitter end, Brian.

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