Il arrive parfois qu’un texte en atelier vienne percuter une thématique de peinture ! C’est le cas cette semaine
Thème : Fictions emboîtées en un lieu unique
Temps : 60 minutes
J’aime regarder les filles au musée. À chaque fois, je me demande comment elles en sont arrivées là, à venir admirer des croûtes vieilles de plusieurs siècles un dimanche après-midi, alors que le soleil brille dehors et que les terrasses sont pleines dans tout Paris. Qui sont-elles ? Comment sont-elles parvenues à trainer leurs copines, leur copain dans ces vieux palais où les pas résonnent, quand ce n’est pas le parquet qui craque ? Ont-elles envie de briller à la machine à café, de passer pour des filles cultivées ? Font-elles tout cela pour impressionner Marc du service comptabilité ? Peut-être est-ce une façon d’accepter leur sort de parisienne exilées à la capitale. Elles se forgent des arguments face à leur famille de province. Elles aiment les expos à Paris, ce n’est pas en Picardie qu’elles pourraient faire tout ça ! Qu’importe de vivre dans vingt-cinq mètres carrés.
Je les vois se pencher pour lire les explications, certaines prennent même des notes comme si elles craignaient que l’on les interroge. La plupart prennent des photos et les partage. Il faut que tout le monde sache qu’elles étaient à cette expo, sinon à quoi bon y aller ?
J’aime regarder les filles au musée. À chaque fois, je me demande comment elles en sont arrivées là, à se faire admirer sur des peintures vieilles de plusieurs siècles, un dimanche après-midi, alors que le soleil brille dehors et que les terrasses sont pleines dans tout Paris. Qui sont-elles ? Comment sont-elles arrivées sur ces toiles dans ces beaux palais où les pas résonnent ? Avaient-elles envie de briller en société ? De passer pour des femmes sophistiquées ? Faisaient-elles tout cela pour impressionner Charles, le propriétaire terrien bien-né ? Peut-être était-ce une façon d’accepter leur sort de femme. À l’époque, on ne leur reconnaissait que leur beauté. Alors, elles ont posé nues ou habillées, d’une robe ou d’un voilage. Elles sont là, avec leur peau blanche, leurs lèvres carmin et leurs cheveux blond vénitien. Aujourd’hui, elles sont prises en photo et admirées, partagées avec le monde entier. Dans le pire des cas, elles finissent en set de table.
J’aime regarder les peintures au musée. À chaque fois je me demande comment elles en sont arrivées là, à se faire admirer au bout de plusieurs siècles, un dimanche après-midi, alors que le soleil brille dehors et que les terrasses sont pleines dans tout Paris ? Qui les ont peintes ? Souhaitaient-ils qu’elles soient exposées dans ces beaux palais où les pas résonnent ? Avaient-ils envie de briller en société ? Faisaient-ils tout cela pour impressionner Hubert, peintre d’atelier réputé, et obtenir enfin la main d’Albertine, sa fille aînée ? À l’époque, étaient-ils aussi reconnus qu’aujourd’hui ? Imaginaient-ils que leur art traverserait le temps derrière des vernis jaunâtres et que les dimanches après-midi, quantité de femmes viendraient admirer leur travail ? Si c’était le cas, nul doute qu’ils auraient vite oublié Albertine.
J’aime regarde les visiteurs au musée. À chaque fois, je me demande comment ils en sont arrivés là, à m’admirer au bout de plusieurs siècles, un dimanche après-midi, alors que le soleil brille dehors et que les terrasses sont pleines dans tout Paris. Qui sont ces gens ? Je ne voulais pas être exposée dans ce grand palais où les pas résonnent et le parquet craque. Je n’ai pas envie d’être montrée en société. Je vois bien que je les impressionne. Il se penchent sur moi, me scrute de leurs gros yeux. Ils commentent mon anatomie ! Les rustres ! Et je devrais accepter mon sort, être exhibée ainsi aux yeux de tous ? Ce tableau est privé. J’ai été modèle pour mon fiancé. Si j’avais su, je n’aurais pas posé les seins nus.