Le jeu

Le Sauna #3

Aujourd’hui, je vous présente un nouveau texte d’atelier sur le thème du jeu.

J’en profite pour vous rappeler que je viens de publier deux ouvrages que vous pouvez commander auprès de moi si vous souhaitez avoir une dédicace. Afin de pouvoir en offrir certains à Noël, je vais procéder à leur commande dans les jours qui viennent, alors ne tardez pas trop !


Il m’a fallu des maux de dos récurrents et une remarque du médecin pour que je me retrouve à l salle de sport. J’ai une image négative de ces endroits saturés de bodybuilders davantage occupés à s’admirer dans le miroir ou à embrasser leurs biceps plutôt qu’à suer sur les machines. Mais dans la salle du quartier, au fon fond du dix-neuvième, je retrouve surtout des retraités ou des trentenaires venus s’occuper sur la pause du midi. Au moins, je ne me sens pas en insécurité avec mes mollets de coq et mes bras sous-développés.

Je commence ma séance sur un vélo d’appartement histoire de faire du surplace, une sensation que je connais bien. Je pédale face à une grande baie vitrées surplombant la patinoire. Là, les enfants et les adolescents s’agglutinent sur la glace, les uns s’agrippant au rebord, les autres filant à la vitesse du vent. À force de venir chaque semaine, je les reconnais. Ces après-midis passés à la patinoire sont pour eux une occasion de draguer. Si les filles cherchent les figures et les arabesques, les garçons taquinent la vitesse. Ils sprintent, puis, arrivés prêt de leur cible, freinent d’un coup et les aspergent de glace pilée. C’est un style de drague façon Cro Magnon, brut mais efficace à voir les visages ravis des jeunes filles. Je peux lire dans leurs pensées : « Il pense à moi. J’existe. » Sans doute leur enverront-elles des nudes ce soir. Cela me rappelle mes dix-sept ans quand nous nous étions rendus à la patinoire. Je n’avais pas voulu aller sur la glace ; j’ai l’équilibre précaire. Amélie m’avait tourné autour, je l’avais laissée venir à moi. Trop sans doute. C’est Olivier qui avait raflé la mise. Olivier qui l’avait cherchée sur la glace pendant que je lisais un roman sur le bord. C’était l’histoire de ma vie. L’avenir appartient aux audacieux, quel que soit leur QI.

Je me remémore tout cela en regardant les ados batifoler en bas. On dirait des pigeons qui se font la cour. Je les entends presque roucouler. Je me sens jaloux de ces petits merdeux, moi, célibataire à trente ans, le désespoir de Maman. Mais où trouver l’âme sœur dans ce Paris rempli de millions d’âmes anonymes ?

Soudain, une femme entre dans la salle. Une femme… Nous n’en avons pas vue depuis des semaines. J’observe son reflet dans la vitre, une belle blonde élancée qui semble aussi perdue qu’un nouveau-né. Elle disparaît au vestiaire. Malgré moi, je me retourne pour jauger mes adversaires. Ils sont trois, dont un grabataire. Je suis le plus jeune, de loin, mais je connais le goût des femmes pour les hommes mûrs. Le quadra au fond de la salle, qui regardait son téléphone depuis un quart d’heure, se remet subitement à pousser de la fonte.

Quand la jeune femme revient, nous sommes tous attelés à suer. Inconsciemment, je me suis mis à pédaler plus vite. J’atteins les cent-soixante-dix pulsations par minutes ; il y en a bien dix pour elle.

Elle empoigne un vélo à côté de moi, le regarde circonspecte, puis se tourne vers moi et me demande comme il fonctionne. Elle a un adorable accent étranger. Lequel ? Je ne saurais le dire. De toute façon, qu’il soit russe, tchèque, espagnol ou anglais, je le trouverais sexy. Même norvégien s’il le fallait.

— Il faut juste que vous pédaliez. Ça va se lancer.

Elle me remercie pendant que je me maudis. J’aurais dû descendre du vélo, lui montrer les programmes. Balancer le « c’est la première fois que tu viens ici ? », le brise-glace lanceur de conversation ultime. Mais non. Quel con ! Pour m’autoflageller, je monte d’un cran la difficulté du dérailleur. Mes cuisses protestent. J’espère que ma voisine de vélo me parle, mais j’oublie que j’ai sur les oreilles un casque débitant un podcast. Je n’ai rien écouté, rien retenu. France Culture battu en brèche par la belle culturiste. Alors je continue à pédaler, mais surtout dans la semoule.

Une fois épuisé, je descends de vélo pour aller travailler les muscles du dos. Comme toujours, je dois descendre le poids des machines. Les autres poussent quarante kilos, moi dix. Pendant que la fonte fait crier mes muscles, j’observe ceux de la belle bouger en rythme. Elle a mis ses écouteurs, se protégeant des inopportuns. Je n’ai pas l’intention de la gêner. J’ai lu Simone de Beauvoir, moi. Je suis aussi déconstruit que célibataire.

Épuisé par tous ces efforts vains, j’abandonne cette partie que je suis seul à jouer. Je descends au vestiaire. À quel moment ai-je pu espérer lui plaire ? Séduire une femme avec mon physique ? Il y en a bien qui aiment les crevettes, mais dans une salle de fitness, elles préfèrent l’étalon, la viande rouge premier choix. Je me change pour me rendre au sauna. Après avoir tant trimé, je l’ai bien mérité. Dans le couloir, je la croise. Je suis en slip de bain. Immédiatement, je rentre le ventre.

— Il y a un sauna ici ? demande-t-elle.

Les efforts lui ont donné des couleurs. Elle me paraît plus charmante encore.

— Heu, oui… Mais il est mixte, réponds-je.

Le meilleur moyen pour l’éloigner. Elle me regarde de haut en bas, puis ajoute :

— Il faut être en maillot de bain ?

— Heu… Oui…

Elle paraît déçue, voire dépitée. Peut-être est-elle vraiment norvégienne.

Je ne retrouve ainsi dans le sauna, rongé par l’attente. Elle se présente quelques minutes plus tard en maillot de bain deux pièces. Elle s’installe dans un coin, ferme les yeux, s’abandonnant à la chaleur. Je me redresse, tente de rentrer le ventre mais manque de m’étouffer à ne plus respirer. Je n’ose pas la regarder. Non pas que j’ai l’érection facile, mais parce que je ne veux pas la mettre mal à l’aise. J’ai lu trop de trucs féministes. À force, je n’ose plus parler, ni regarder les femmes. Je veux être un mec bien, mais les femmes veulent des bad boys. Comme le connard avec ses patins à glace de tout à l’heure. Il emmerde les filles, le chahute, les bouscule, les insulte… Ça l’amuse et ça les amuse. C’est le jeu de l’amour, il a ses règles tacites, ses vainqueurs, ses losers. J’ai toujours été le mec gentil qui se retrouve dans la friend zone dans passer par la case départ. Moi aussi je veux empocher la mise. Mais comment engager la conversation sans passer pour un gros lourd ? Comment lancer innocemment une discussion. Je me tourne vers elle, elle me regarde, ses yeux brillants au milieu de la peau écarlate. J’ai trop chaud. Je brûle. Il faut que je sorte. Je titube jusqu’à la douche et m’asperge d’eau glacée. Je gémis, tant du corps que de l’esprit. Soudain, une voix me demande :

— Tout va bien ?

Elle est derrière moi, l’air soucieux. Je ne sais que lui dire, alors je m’invente une excuse :

— J’ai eu une dure journée…

Elle fronce les sourcils et ajoute :

— Vous voulez qu’on en parle autour d’un café ?

Je n’aurais pas sué pour rien. J’ai obtenu un rencard en slip de bain.

Un petit cul à croquer

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Les trois premières planches de Jotunheimen ont été colorisées par Nicolas Archimède. Cela correspond à la première scène de la bande-dessinée. C’est pour vous l’occasion de vous replonger dans les premières planches, avec un dessin d’Alexis un peu différent de comment il est aujourd’hui…

Une mise en perspective

makingofRefaire une case, c’est toujours difficile. Surtout qu’on a l’impression d’ouvrir la boîte de Pandore : rapidement, on s’aperçoit que tout serait à refaire ! Il faut alors savoir être pragmatique et ne refaire que ce qui nous paraît impossible à garder. Tout en sachant que ces choix sont bien entendu discutables…

En cette période de congés scolaires, j’en profite pour retoucher certaines planches. Ici, c’est le deuxième case de l’album qui est remise en cause ! Cette case m’avait posé énormément de problème au dessin, puisque je n’avais pas réalisé ce que j’imaginais au départ en storyboard. Devant la complexité, j’avais simplifié la case. Pire encore, la colorisation avait été une véritable torture. Bref, il fallait reprendre tout ça. Voilà, en gros, ce qui n’allait pas :

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Surtout, l’ensemble est terriblement plat. J’ai donc repris mon idée d’origine, qui est moins centré sur les personnages (ici, sans véritable intérêt), mais sur le lieu. L’inspiration est le Décathlon rive gauche (13ème arrondissement). Impossible d’avoir une image correcte sur Google Maps, j’ai fini par trouver quelque chose dans l’idée :

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Impossible de trouver le copyright pour cette photo. Google Maps/Streets semble-t-il.

C’est donc une jolie perspective à deux points de fuite. Pour éviter la redondance avec la première case, le point de cassure sera plus à gauche. En voilà le dessin actuellement :

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Le problème posé ici est le vide côté droit. On y trouvera cependant l’entrée du magasin (qui cassera la perspective), le gorille/vigile. Surtout, cela me permet d’ajouter Alexis qui marche dans la rue et apparaît donc logiquement dans l’album à ce moment-là. C’était l’un de manques de la première version. Pour habiller le tout, j’ai aussi ajouter un pigeon qui vole (car le côté haut/droit de la case est très vide) et le même scooter en avant plan. Mais après réflexion, il semble que le scooter, vue la perspective, soit en train de voler…

J’ai aussi pu profiter de la planche pour travailler la perspective en damier, qui permet de faire en sorte que les fenêtres aient l’air plus petites plus elles sont loin. Avant je le faisais au feeling et mon feeling était assez mauvais. La technique utilisée est très simple à mettre en place et va vite (aussi vite qu’en le faisant au juger).

On voit bien les diagonales tracées sur le crayonné. Pour ceux que ça intéresse, j’ai utilisé le tutoriel très simple d’eMangaka. 

Maintenant que tout est posé, reste à fignoler tous les détails : les personnages bien entendu, mais aussi l’intérieur (ou pas ?) des vitrines. Car la perspective donne vite un aspect froid et trop rectiligne qu’il faut savoir casser en ajouter des détails opportuns aux bons endroits.

Faisons un tour dans le 13ème

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Après plusieurs pages de test, voilà le véritable démarrage de Jotunheimen : la page 1 ! C’est parti pour cette histoire qui, j’espère, vous plaira. Il n’y a plus qu’à mettre en couleur maintenant…

Concernant le titre, Jotunheimen, je me pose encore beaucoup de questions. En effet, mes amis qui m’en parlent sont bien incapables de le prononcer et c’est donc au niveau communication une erreur. Mais d’ici la fin de la BD, j’ai le temps de réfléchir.

Eveil des Sens (35)

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Comme cela faisait un mois que vous n’aviez pas de planche, je ne vous en mets qu’une seule aujourd’hui pour combler le manque qui a du vous accabler au mois d’août (comment ça “pas du tout” ?!).

La prochaine fois, je vous mets toute la fin du chapitre. Mais forcément, c’est pas pour demain.